Infernal Affairs : la descente en enfer


Infernal Affairs


C’est maintenant l’heure de notre chronique Théologie et Pop Corn. Frère Paul Adrien, de quel film allez-vous nous parler cette semaine ?

Cette semaine, je vous propose de nous pencher sur un film de gangster. Cela nous fera voyager. À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent une lutte impitoyable. Sam, le parrain de la mafia, décide d'infiltrer la police avec son meilleur élément, Lau. Lau jouit d'une réputation sans tache et gravit les échelons de la hiérarchie. Dans le même temps, la police décide d'envoyer son meilleur élément, Yann, comme taupe, cette fois-ci dans la mafia. Il s’agit d’Infernal Affairs. C’est un film qui s’est imposé comme un classique du genre. Il a été repris par Scorsese. Et son remake, les Infiltrés, a remporté l’oscar du meilleur film. Mais je préfère l’original, qui est plus romantique et moins vulgaire.

Pourquoi choisir un film de gangster dans une rubrique de Théologie ? La réponse est simple.  Car il ne s’agit pas d’un simple film de gangsters mais d’un film qui parle de la rétribution. La rétribution, au sens théologique du terme, signifie le jugement de l’âme et sa destinée dans l’au-delà. Regardez le titre : Infernal Affairs. C’est un jeu de mots entre Enfer et Affaires Internes, c’est-à-dire les problèmes internes à la police et aux ripoux. Ce titre anglais, avec son jeu de mots, est une traduction réussie du titre chinois original : Mou gaan dou. Ce qui signifie « le chemin incessant », qui est une référence bouddhiste à l’Avïci. Et pour être sûr que la référence ne vous échappe pas, le film commence par une scène tournée dans un temple bouddhiste. La référence religieuse est explicite et appuyée.

L’Avïci, pour les bouddhistes, c’est le niveau le plus bas de l'enfer, là où renaissent les morts qui ont commis les pires méfaits. Avīci est souvent traduit par interminable ou incessant, parce que, là-bas, la souffrance est incessante. La voie interminable. D'autres enfers existent dans le bouddhisme. Mais leur fonctionnement est plus proche de purgatoire, où après quelques siècles de souffrance, on peut renaître sous une forme de vie humble dans un endroit un peu moins horrible. Mais ceux qui sont envoyés dans l’Avīci sont sans espoir de répit. Il s’agit, toutes choses égales par ailleurs, de ce que nous, catholiques, appelons l’abîme.

La question que pose ce film est donc : qui est passible l’abîme ? là où il y a des pleurs et des grincements de dents et où le feu ne s’éteint pas, pour reprendre le vocable du Nouveau Testament. Et c’est sur cette arrière fond religieux, la question de la perdition totale et définitive, la question de damnation, que se déroule cette intrigue de gangsters et de taupes. Je n’en dis pas plus : regardez le film. Infernal Affairs.

Et demain, nous continuons à parler de ce film en plongeant plus profondément en l’enfer….

Le 9e cercle


Cette semaine, dans notre rubrique théologie et cinema, nous parlons d’Infernal Affairs, un film de gangster.

Le film parle de l’enfer bouddhiste, vous ai-je dit. Plus précisément de ce qu’il y a tout au fond de l’enfer, là où les damnés souffrent le plus. Pour en parler, faisons un détour du côté d’un livre catholique, une livre de poésie classique. La divine comédie de Dante. Ce livre, à quelques nuances près, est considéré comme une sorte de catéchisme sur l’au-delà. Il raconte l’odyssée de Dante à travers l’enfer, le purgatoire et le paradis. Aidé de son guide Virgile, il passe les portes de l’enfer et descend ses neufs cercles : « Vous qui entrez ici, laissez là toute espérance », dit le texte. Au fur et à mesure que l’on descend, les plaintes sont plus lugubres, les peines plus dures et les péchés plus graves. C’est l’idée traditionnelle d’un au-delà avec des demeures variées et des sanctions graduées. On arrive finalement au neuvième cercle, l’abîme pour les catholique, l’avici chez les bouddhiste. Or, voici la description que donne Dante des recoins de ce neuvième cercle. 

Dans le premier recoin, appelé « Caïnie » (de Caïn qui tua son frère Abel), sont punis les traîtres à la parenté, enfouis dans la glace jusqu'à la taille. Dans le deuxième, « Anténore » (d'Anténor qui livra le palladium de Troie aux ennemis grecs) se tiennent les traîtres à la patrie, enfouis jusqu'au cou. Dans le troisième, la « Ptolémaïe » (du roi Ptolémée XIII qui, au temps de Jules César, tua son hôte Pompée) se trouvent les traîtres à leurs hôtes, dont seules les jambes sont à l'air libre. Enfin dans le quatrième, la « Judaïe » (de Judas qui trahit Jésus) sont punis les traîtres à leurs bienfaiteurs, complètement enkystés. 

Au centre de la Judaïe, Satan, avec ses trois têtes, dévore interminablement Brutus, Caïus et Judas. Ecoutez Dante : « Je ne mourus point, et ne demeurai point vivant : pense maintenant toi-même, si tu as quelque entendement, quel je devins, privé de l’un et de l’autre. L’Empereur du royaume douloureux, depuis le milieu de la poitrine sortait de la glace […] De six yeux il pleurait, et sur trois mentons, goutte à goutte, tombaient les pleurs et la bave sanglante.  De chaque bouche, avec les dents, comme broie le marteau, un pécheur il broyait, de sorte qu’ainsi il en tourmentait trois. A celui de devant la morsure n’était rien près des griffes, l’échine parfois restant tout entière dépouillée de la peau. » C’était Judas.

Et c’est là que nous retrouvons notre film :  au plus profond de l’enfer, dans la gueule même de Lucifer, il y a les traîtres. Et c’est ce que raconte notre film de gangster, infernal affairs. Avec son histoire de taupes, il nous raconte la plongée en enfer de Lau, le policier à la traîtrise sordide, la lente descente dans le royaume du remord et de la souffrance.

Merci frère Paul Adrien. Je rappelle aux auditeurs qui voudrait la reprendre que cette chronique est disponible sur votre chaîne YouTube.

Excurus : Judas est-il en enfer ? 


Pour parler du film de gangster Infernal Affairs, le frère Paul Adrien vous propose comme clé de lecture le lien entre traîtrise et damnation. Frère Paul Adrien, à vous la parole.

Reprenons là où je vous ai laissés et laissons Dante remonter de l’enfer avec Virgile et poursuivre leur voyage vers le purgatoire. Nous, restons encore un instant dans ce lieu de supplice. Je vous ai dit que le film Infernal Affait parlait de traîtrise et de damnation, et que cela sonnait étrangement proche de notre vision de Judas et de l’enfer.
Arrêtons-nous un instant sur Judas. J’ouvre cette parenthèse pour nous obliger à prendre au sérieux ce film. Nous sommes frileux à l’idée de mettre quelqu’un en enfer. Nous y voyons soit un manque de miséricorde, car Dieu est amour, soit une présomption, car on a l’impression de s’attribuer le rôle de juge, qui seul appartient à Dieu.

Précisons donc. La miséricorde divine peut-elle condamner quelqu’un ? Malheureusement, oui, et au nom même de la miséricorde. Car Judas a désespéré de la miséricorde divine, il en a désespéré au point de se pendre. A cause de son remord et de son orgueil, plutôt que de demander pardon, il a préféré se suicider. Sainte Catherine de Sienne dit que ce désespoir fut pire que la trahison et que c’est elle qui a amené Judas en enfer.

Mais est-on sûr que Judas est en enfer ? écoutez Jésus. Il a appelé Judas « le fils de la perdition » en Mt 26:24, et le terme est sans équivoque. Ecoutez saint Jean. Il nous présente Judas possédé par le diable et s’enfuyant dans la nuit. Ecoutez saint Pierre, en Acte 1,25. Il dit que Judas est allé dans « son lieu à lui ». La tournure peut paraître floue. Mais le flou de l’expression n’est pas là pour suggérer une incertitude sur le sort de Judas. Elle est là pour éviter de prononcer le mot d’enfer, tellement ce mot est terrible. Et le concile de Trente conclue : « Judas n'a pas profité de la Rédemption et il a perdu son âme ».

La damnation de Judas était une chose admise au moyen-âge. Les prédicateurs s’en servaient pour nous apprendre à ne pas abuser de la miséricorde de Dieu par présomption (l’enfer existe) mais aussi pour nous apprendre à ne pas désespérer de la miséricorde (Dieu peut tout pardonner). On a compris l’idée : la faute la pire pour un chrétien est de trahir Jésus. Dans le film, cette idée est reprise dans un autre contexte, celui de la mafia. La trahison est décrite comme une faute sordide, traité de manière crescendo. Comme une descente en enfer, une descente dantesque. Lau trahit d’abord la police, puis les petits mafieux, puis l’inspecteur modèle, puis son protecteur mafieux, puis sa femme, puis le policier héros, puis lui-même. Oui, il finit par se trahir en tuant le dernier policier véreux qui lui ressemblait

Et en attendant, n’hésitez pas non plus à regarder la suite du film. Infernal Affairs, c’est une trilogie.

Le Personnage de Lau


 À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent une lutte impitoyable, via des taupes. L’une infiltre la police, l’autre les triades. Frère Paul Adrien, à vous la parole pour nous parler d’Infernal Affairs.

Nous avons comparé Lau, le traître du film, avec Judas, le traître dans les évangiles. Lau, souvenez-vous, c’est le meilleur élément de Sam le parrain de la mafia, un pion qu’il a infiltré dans la police, un agent exemplaire et qui gravit les échelons avec la bénédiction de ses supérieurs. Mais s’il gravit les échelons ce n’est pas ambition. C’est pour pouvoir trahir de manière plus efficace. Comme Judas ! Judas était le trésorier de Jésus, celui qui s’occupait des fournitures matérielles. Pour les évangélistes, cette charge de trésorier est la preuve de son avarice et de son amour immodéré de l’argent. Soit. Mais c’est aussi la preuve de sa réussite sociale. Judas a gravi les échelons ecclésiastiques. Car trésorier est une charge honorifique, une charge délicate que l’on ne confie pas à n’importe qui.

Judas faisait partie des apôtres bien vu. Peut-être pas par Jésus qui l’a appelé, mais qui ne l’a jamais inclus dans le noyau dur du Pierre, Jacques et Jean, mais probablement par les autres apôtres. Ce sont probablement eux qui lui ont fait confiance au point de lui confier leur argent. Il a dû gagner leur confiance et inspiré le respect.

Comme Judas avec les apôtres, Lau est apprécié de ses proches. Le personnage est magnifiquement joué par l’acteur Andy Lau. On a l’impression d’un personnage un peu gauche, un peu introverti, avec le petit sourire gêné de celui qui ne sait pas pourquoi il est devant la caméra. Car le personnage de Lau, joué par Lau, c’est le mec sympa. C’est la personne qui essaye de bien faire son travail. Qui essaye de rendre service et de mettre tout le monde à l’aise. Presqu’une victime. Il a eu une enfance difficile, alors, évidemment, il s’est parrainé par la mafia. Mais à la fin, découvert, il veut se racheter. Par amour de sa femme. Pour devenir, comme il le dit « un mec bien ». Sa femme lui dit, en pleurs, que c’est le moment de choisir et il choisit de se rendre. Et, voilà que le policier à qui il se rend est tué sous son nez, par une deuxième taupe sortie de nulle part. Alors Lau n’a pas le choix : évidemment, il tue cette deuxième taupe.

Et on en revient au jugement et à la rétribution dans l’au-delà. Car là où le film est très fin, c’est que la traîtrise de Lau n’inspire pas le dégoût. Ses trahisons sont sordides, mais on n’arrive pas à le condamner. A cause de son aspect sympa. Sa trahison est décrite comme une tragédie, pas comme une damnation. Comme un naufrage. Ses actions sordides n’inspirent pas le mépris, mais la pitié bienveillante. Et, cela donne un aperçu magnifique de ce que sera le jugement dernier.

Merci frère Paul Adrien. A demain, pour la suite.

La psychologie du traître


À Hong Kong, la police locale et une triade se combattent par taupes interposées. L’une, Lau, infiltre la police, l’autre, Yann, les triades. C’est l’heure de notre rubrique Théologie et Pop Corn

Dans notre film, Infernal Affairs, le traître Lau saisit toutes les occasions de se racheter. Il veut être quelqu’un de bien, comme il le dit. Il veut rester avec sa femme. Il admire les policiers intègres. Mais à chaque fois, on a un doute. Il s’est marié, mais par amour ou par intérêt professionnel ? Il tue son parrain, mais pour purifier Hong Kong ou pour se blanchir ? Tout sonne faux. Et cela contraste avec son sourire de mec sympa dont nous parlions la dernière fois.

C’est ici que l’on plonge dans la psychologie des profondeurs. On s’aperçoit que la façade de Lau, son sourire et sa gentillesse sont des mécanismes de défense psychologique dont il se sert pour se protéger. Il s’en sert pour tromper son entourage. Mais son sourire exprime aussi le contentement de celui qui préfère croire dans l’image que sa conscience projette de lui plutôt que dans ce que ses actions révèlent de lui. Ce qu’on appelle dans le combat spirituel le réflexe de la justification. Malgré tous nos défauts, nous ne pouvons nous résoudre à nous voir tel que nous sommes. Au fond de nous-même, on est toujours persuadé de faire partie des gentils. Et Lau reste persuadé au fond de lui qu’il fait partie des gentils.

Je cite une psychologue Carol Tavris et j’adapte au contexte. "Bien évidemment, Lau ment et invente des histoires invraisemblables pour éviter d'être poursuivi en justice ou jeté en prison […]. Cependant, il existe une différence très nette entre l'exercice auquel se livre cet homme coupable pour convaincre d'autres personnes de ce qu'il sait pertinemment être faux et le processus par lequel il se persuade lui-même qu'il a fait quelque chose de bien. Dans le premier cas, il ment consciemment pour sauver sa peau. Dans le second cas, il se ment à lui-même. En cela l'autojustification est plus puissante et plus dangereuse que le mensonge explicite. Elle permet aux personnes coupables de se convaincre qu'elles ont fait tout leur possible, et que, finalement, elles ont même fait quelque chose de bien. « Je n'avais pas le choix », se dit Lau. « En fait, c'était une excellente solution. » « Je suis quelqu’un de bien. » "

Le moteur de cette justification, c’est une mauvaise gestion de la culpabilité. Ce qu’on appelle le remord. Le regret, c’est dans l’espoir d’être pardonné. On se dit « je n’aurais pas dû ». Le remord, c’est l’incapacité à se pardonner soi-même. On se dit : comment, moi, ai-je pu faire cela. Judas éprouvait du remord, pas du regret. Pour fuir le remord, Judas s’est suicidé. Pour fuir le remord, Lau lui s’invente un moi idéalisé.

Merci frère Paul Adrien pour cette chronique. Mais je crois que c’est pas encore terminé et que vous nous reparlerez encore de ce film.

De l’auto-justification au vice d'hypocrisie


C’est maintenant l’heure de notre chronique Théologie et Pop Corn. Frère Paul Adrien, de quel film allez-vous nous parler cette semaine ?

Cette semaine, je vous propose de nous pencher à nouveau sur Internal affairs, un film de gangster. Nous en avions déjà parlé dans une précédente chronique, mais le sujet d’un point de vue théologique est suffisamment riche pour mériter une deuxième chronique. Je vous rappelle brièvement l’histoire. À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent à une lutte impitoyable. Sam, le parrain de la mafia, infiltre la police avec son meilleur élément, Lau. Dans le même temps, la police infiltre la mafia avec Yann, un policier espion. Nous avions parlé de la damnation, de la psychologie de la traîtrise, du démon de la justification. Je reprends à partir de là.

Un bel exemple d’auto justification vient d’une des dernières scènes. Sous les yeux de Lau, le traître, une deuxième taupe surgit de nulle part et tue Yann, le gentil policier. Du point de vue du scenario, cette scène n’ajoute rien, et même elle l’alourdit en donnant l’impression d’un rebondissement artificiel. Il suffisait à Lau de tuer Yann. Mais d’un point de vue psychologique, cette scène est très bien pensée. Car ce rebondissement permet à Lau de dire que ce n’est pas lui qui a tué Yann, même si cette deuxième taupe lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Mais l’honneur est sauf et Lau lui-même qui demande, de bonne foi, une décoration posthume pour Yann. Comme les hypocrites dans la Bible qui tuent les prophètes et ensuite leur érigent des somptueuses tombes.

C’est là où l’autojustification, la manière dont Lau se persuade d’être quelqu’un de bien, n’est plus simplement un réflexe psychologique, mais une perversion. Le mensonge, comme il le dit lui-même, est devenue sa spécialité. Il l’a érigé en art de vivre, menant une double vie et naviguant constamment de l’un à l’autre. C’est là où réside la perversion : Lau n’a même plus conscience d’être hypocrite. Il a réussi à se persuader lui-même. Son hypocrisie est devenue une deuxième nature, un réflexe inconscient. On comprend pourquoi, dans la pensée de Jésus, l’hypocrisie est proche du fameux péché irrémissible.

Il y a un événement qui aura fait basculer Lau de la simple traîtrise à l’hypocrisie crasse. A force de gravir les échelons de la police, il a accepté une promotion et il est devenu le policier chargé de traquer et débusquer les policiers véreux. Il est chargé de se débusquer lui-même. Et il en profite pour justifier le fait de faire suivre le responsable de la police, que tout le monde sait être intègre. C’est le stade ultime de l’hypocrisie : affecter le masque de la vertu pour promouvoir une action que l’on sait être vicieuse.

Merci frère Paul Adrien pour cette chronique. Je crois que vous avez mis sur YouTube votre premier chronique sur ce film pour ceux qui voudraient.

Le remords et la damnation

 À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent une lutte impitoyable, via des taupes. L’une, Lau, infiltre la police, l’autre, Yann, les triades. C’est l’heure de notre rubrique Théologie et Pop Corn

Le film Infernal Affairs va être un tel succès qu’on en fait une trilogie. Dans le dernier opus, Internal Affairs III, l’intrigue se focalise sur la psychologie du traître Lau. Peu à peu, on va voir sa psychologie se fracturer et basculer dans la schizophrénie. Cette schizophrénie était en germe dans le premier film. On voyait Yann, le gentil flic se faire licencier de l’académie de police. Un instructeur demandait: « Qui veut prendre sa place ? » et le jeune Lau répondait : « Moi je veux prendre sa place ». On la devinait encore quand Lau était devenu chargé de trouver la taupe de la mafia, c’est-à-dire lui-même.

Au cours du troisième opus, elle éclate au grand jour. Pris à son propre piège, Lau résout son conflit intérieur en perdant son identité. Le mécanisme psychologique derrière ceci reste le remord. Dans la Bible, le remords est appelé le ver de la conscience. C’est une honte portée à l'excès, un des châtiments qu’il existe en enfer : le feu corporel et le ver de la conscience. Judas se pend par remord. Lau se mentait à lui-même dans le premier film. Maintenant, dans le troisième, il perd son âme de remords. Littéralement.

Cette schizophrénie est d’abord décrite comme une maladie psychiatrique. Lau se fait suivre par un docteur. Mais le docteur comprend, au cours d’une hypnose, que Lau est devenu fou de culpabilité. Rongé par le remord, il veut être ce Yann qu’il a tué. Sous les yeux horrifiés et impuissants de la psychologue, on passe d’une maladie psychiatrique à autrer chose. C’est le mécanisme de la damnation qui se met en place. Lau finit par abandonner son identité. A ses yeux, il est le gentil flic et inversement, le gentil flic Yeung qu’il a maintenant en face de lui dans le troisième film finit par devenir le méchant flic, c’est-à-dire lui-même. Lau décide d’arrêter Yeung qu’il appelle Lau. La scène est poignante. Ses amis policiers sont atterrés, moins parce qu’ils comprennent, à savoir que Lau est le vrai coupable, que par le spectacle affligeant d’un homme, qui a définitivement basculé dans la folie de la culpabilité.

Lau tue Yeung. Mais psychologiquement, c’est à la fois lui-même qu’il tue et Yann qu’il tue une deuxième fois. Comme ces châtiments en enfer où l’on est condamné à revivre éternellement sa faute. Hurlant sa culpabilité et son désir d’être quelqu’un de bien, hanté par ses mémoires, il perd la raison et finit dans une chaise roulante, enfermé dans son propre esprit. Là où il y a des pleurs et des grincements de dents dit l’évangile. La damnation. Et c’est ainsi qu’est justifié le titre du film : infernal affairs. 

Merci frère Paul Adrien. Demain, nous parlerons des autres personnages.

Sam : le méchant


À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent une lutte impitoyable. C’est l’heure de notre rubrique Théologie et Pop Corn avec le frère Paul Adrien.

Nous continuons notre analyse de la trilogie Infernal Affairs. Nous avons parlé d’Infernal Affair III, avec la question de la damnation. Avec Infernal Affairs II, c’est une autre question, celle des origines qui est abordé. C’est l’histoire de Wong, l’inspecteur de police, qui infiltre Yann dans la mafia. Wong, policier désabusé, mais qui se rachète. Son destin laisse présager celui de Yann. C’est aussi l’histoire de Sam, le parrain de la mafia, qui infiltre Lau. Au début, Sam paraît presque plus vertueux que l’inspecteur de police.

Attardons-nous un peu sur Sam. Ou plutôt, allons faire un détour du côté du remake de Scorsese, les infiltrés. L’histoire est rigoureusement la même, quoiqu’en plus vulgaire. Et nous ne sommes plus à Hong Kong mais à Boston, il ne s’agit plus d’un univers marqué par le bouddhisme mais par le catholicisme et Sam ne s’appelle plus Sam mais Costello, joué par Jack Nicholson. La déclaration d’ouverture du film possède une tonalité luciférienne. Costello affirme ne pas vouloir être le produit de son environnement mais vouloir faire de son environnement un produit de lui. Mais c’est aussi une allusion à l’orgueil, radix vitiorum, la racine du vice. Avant, dit Costello, il y avait l’Eglise qui tenait les hommes par la barbichette et les faisant vivre à genoux dans la soumission. Lui, Costello, ne veut pas attendre d’avoir qu’on lui donne ce dont il a besoin. Cela ne sert à rien de se plaindre. Il faut prendre. Non serviam.

La déclaration est assez caricaturale mais campe le personnage. On le voit tout désacraliser. Et principalement la religion. Il se moque du secret de confession. Il se moque des prêtres. Il se moque des sœurs. Incapable de voir le bien, il analyse tout à travers un prisme déformé. C’est la religion du mal. Costello adore l’argent, les femmes et le pouvoir, les trois sources de libido et domination. Il vit dans la vulgarité et l’obscénité.

Quelqu’un le met en garde : un jour il se fera tuer. Costello, dans un moment de sincérité, avoue ne plus avoir besoin de continuer. Mais, il se reprend et déclare : « Que veux-tu, j’aime ça ». Ce qu’on appelle la dépravation : la complaisance impudente dans le mal. A côté de la figure du traître, Costello offre une autre figure de réprouvé : celui qui se vautre dans le vice. Il a un aspect grotesque et bouffon. Mais il a une faille, et qui lui coutera la vie. Il voit dans la taupe qu’il a infiltré chez les flics le fils qu’il n’a pas eu. Il y a quelque chose en lui qui est resté naïf. Et c’est ce fils adoptif qui finalement le tuera, dans une ultime trahison. Le disciple surpasse le maître. Oui, malgré les apparences, la trahison est pire que la dépravation.

Merci frère Paul Adrien et à demain pour la suite de cette chronique !

Yann : le héros


À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent une lutte impitoyable, via des taupes. L’une, Lau, infiltre la police, l’autre, Yann, les triades. C’est l’heure de notre rubrique Théologie et Pop Corn

De ce film Infernal Affairs, nous avons parlé de Lau, le traître. Il est temps d’aborder la partie lumineuse du film avec Yann, le policier infiltré par ses supérieurs au sein de la mafia. Destin tragique que celui de Yann. Abattu par un traître, il finit dans le déshonneur. Aux yeux du monde, il est un voyou qui a trahi la police. Mais, il va connaît une réhabilitation posthume Et s’il est vrai que si le thème du film est bel et bien la rétribution dans l’au-delà, comme son titre l’indique, à l’inverse de Lau qui finit fou, et dont la folie laisse pressentir quelque chose de l’enfer, on peut voir dans la réhabilitation port mortem de Yann une allusion au bonheur impérissable dont il jouit dans l’au-delà. Saint Paul le dit : Dieu réserve la vie éternelle à ceux qui, par la persévérance à faire le bien, cherchent l'honneur, la gloire et l'immortalité. Aux autres la colère éternelle.

D’un point de vue bouddhiste, et le film est bouddhiste, ce n’est pas dit que Yann ait atteint le Nirvana. Il semble être encore trop attaché à ses émotions et à ses passions. On hésitera à le qualifier d’éveillé, de bouddha. Mais il n’en reste pas moins qu’il incarne une certaine perfection morale. Intégré aux mafieux, il évite de tuer. Il goûte la drogue pour son travail, mais n’y succombe pas. Trahit, il refuse de se venger. A ses supérieurs qui lui demandent s’il veut être policier, il répond qu’il veut être vertueux.

Phrase admirable qui me fait penser à
à Benoît XVI citant Platon dans son livre sur Jésus. « Représentons-nous, dit Platon, le juste homme simple, généreux, qui veut être bon et non le paraître. Aussi ôtons-lui cette apparence ; car avec elle, il sera comblé d'honneurs et de récompenses, et alors on ne saura plus s'il est juste pour la justice elle-même ou pour ces honneurs et ces récompenses. Dépouillons-le de tout excepté de la justice, et rendons le contraste parfait entre cet homme et l'autre : sans être jamais coupable, qu'il passe pour le plus scélérat des hommes ; que son attachement à la justice soit mis à l'épreuve de l'infamie et de ses plus cruelles conséquences; et que jusqu'à la mort il marche d'un pas ferme, toujours vertueux et paraissant toujours criminel. »

Un tel homme nous dit Platon, voilà le juste parfait. Yann a tout sacrifié sur ordre de ses supérieurs. Y compris sa réputation auprès de sa femme. Il la recroise plus tard par hasard. A mot couvert, on apprend qu’elle a eu un fils de lui mais qu’elle le lui a caché car elle avait honte de sa vie de mafieux. Elle ne savait pas que c’était un policier infiltré et l’a quitté. Yann est ce juste parfait dont parle Platon.

Frère Paul Adrien, nous nous revoyons demain pour le dernier épisode de cette série.

Yann : le héros (2)


À Hong Kong, la police locale et une triade se livrent une lutte impitoyable. C’est l’heure de notre rubrique Théologie et Pop Corn avec le frère Paul Adrien.

Continuons notre analyse du film Infernal Affairs avec Yann, le policier infiltré au sein de la mafia. Il exemplifie selon les critères de Platon, une certaine perfection morale, avons-nous dit. C’est un incorruptible. De manière ironique, celui qui arrive presque à le corrompre, c’est l’inspecteur Wong qui l’a infiltré. Wong lui offre une montre pour son anniversaire. Yann refuse. Derrière, il est question de vérité : Wong joue avec lui et lui fait des promesses qu’il ne tient pas. Pas question de se laisser duper en se laissant acheter par un cadeau. Cela n’empêche pas Yann de respecter son supérieur, de lui obéir et d’y être attaché.

Il y a aussi la tempérance de Yann. Lau, le méchant, est lui aussi tempérant. Mais chez ce dernier, la tempérance sert à minimiser ses émotions pour offrir un masque d’affabilité. Sa tempérance se veut impassibilité, impénétrabilité. Celle de Yann est différente : elle n’est pas exempte de chaleur humaine. On le sent vivant, sensible, et, chose admirable, sans jamais faire de faux pas, même avec les mafieux à qui il ne refuse pas son amitié.

On le sent encore attaché à sa thérapeute. Pendant ses séances d’hypnose, Yann se dévoile. Même s’il se dévoile de manière paradoxale, puisqu’il dort. Mais on devine que ce que Yann cherche par-dessus tout c’est la paix. Il réclame des médicaments pour calmer ses migraines, signe de son combat intérieur. On en devine aisément les contours : le stress de se voir découvert, la question de savoir s’il poursuit le bon combat. Mais ce combat intérieur est suggéré. Yann le maîtrise, sans le refouler, à la différence de Lau qui le refoule sans le maîtriser. Dans les infiltrés, le remake par Scorsese de ce film, la relation avec la psychologue est développée de manière intéressante. Yann, cette fois-ci joué par Léonardo Di Caprio, s’avère meilleur psychologue que la psychologue elle-même. Les conflits qu’il a vécus lui ont donné une certaine forme de sagesse. Il perce le masque de sa psychologue. Il perce le jeu malsain auquel jouent les policiers qui viennent se plaindre. Comme si la dissimulation l’avait rendu sagace.

Cette sagacité continue sur un autre registre, celui de la loi. Il prendre des libertés avec les règles, au grand dam de l’inspecteur. Mais c’est la liberté, non pas celui qui rejette les règles, mais de celui qui les a comprises. A force de risquer sa vie, il a mesuré la véritable portée de ce qui est permis ou non. Il n’hésite pas à tabasser quelqu’un pour donner le change, mais il refuse la vengeance. En dépit de tout, il est resté intègre. C’était là sa véritable force qui lui aura permis de tenir sans craquer. Je suis juste un flic, dit-il avant de mourir.  

Merci frère Paul Adrien. La semaine prochaine, vous nous proposer une séance de catéchèse.

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