Ad Astra : le film de SF qui n'aimait pas la SF



Le Titre

Récemment sorti en octobre 2019, le Film Ad Astra du réalisateur James Gray met en scène l’exploration spatiale. L’astronaute Roy McBride, joué par Brad Pitt, s'aventure jusqu'aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu, dans une quête doit sauver la terre. Premier topo sur le film Ad Astra. Vous êtes prêts ? Attention spoiler ! Nous commençons aujourd’hui par le titre. Ad Astra. C’est une référence à la devise latine Per aspera ad astra. A travers les difficultés jusqu’aux étoiles. C’est un résumé de ce qu’est un héros au sens antique du terme. Un héros antique, c’est quelqu’un qui, par sa bravoure et son sacrifice, par une recherche inlassable de la gloire et des hauts-faits arrive à se hisser au-dessus de sa condition humaine. A mi chemin entre les hommes et les dieux, il parvient jusqu’au ciel où les dieux le transforment en astre protecteur. Par exemple, Hercule, divinisé en constellation dans le ciel, que l’on peut encore observer de nos jours. Et dans le film, il y a justement un homme qui a posé sa candidature de héros, c’est le père de Roy McBride, Clifford McBride. Extraordinaire par son odyssé qui l’a mené aux confins du système solaire. Adulté par le reste de l’humanité qui voit en lui un pionnier et un explorateur. Imité par son fils qui s’est lancé à sa suite dans l’exploration spatiale. Il s’est littéralement transformé en astre, comme les héros de jadis, puisqu’il vit maintenant en orbite sur Neptune. Et ça, le chrétien que je suis aime. Le goût de l’aventure me fait vibre. Désirer vivre une aventure extraordinaire et être un héros, c’est quelque chose qui a du sens dans l’évangile. Il suffit de remplacer Ad astra par duc in altum. Duc in altum, c’est la phrase de Jésus à saint Pierre : avance au large. Oui, mais voilà, patatras, dans le film, ce héros est un anti-héros. Au fur et à mesure du film, on découvre que Clifford est un mystique un peu fou, parti dans les étoiles pour accomplir une mission que Dieu lui aurait soit-disant confiée (trouver une vie extraterrestre). Il devient fanatique et meurtrier. On finit par le retrouver à la fin du film, désabusé et enfermé dans son délire, entouré de cadavres dans un vaisseau devenu une épave. Il nous révèle alors qu’il est parti dans l’espace pour fuir une famille qu’il n’a jamais su aimer. Pas très aguichant, le héros ! La morale de ce film, c’est que la quête de l’héroïsme est une quête néfaste qu’il faut abandonner. C’est au mieux de l’immaturité, au pire une fuite qui dénote une fragilité psychologique. Le film nous invite donc à mettre cette quête d’héroïsme et d’aventure à la poubelle et vivre simplement, là où hasard nous a mis. Et là, le théologien que je suis se rebiffe. Non, la recherche de l’héroïsme ne dénote pas obligatoirement une fragilité et une fuite mais peut aussi dénoter une certaine générosité et une grandeur d’âme. La pierre de touche, c’est l’humilité. Oui, l’héroïsme peut être dangereux. Surtout s’il justifie un certain orgueil. L’orgueil de soi-même, de sa propre destinée. Mais des héros humbles cela existe dans l’évangile. Ce sont les saints, et d’ailleurs ils vivent au ciel. Ad astra. Nous continuons demain avec un nouveau thème toujours sur ce film. Rappelons que l’intégralité du topo est disponible sur le site de Rcf Nancy.

La relation au père

Nous avons vu comment, dans le film Ad Astra, Clifford le père incarne l’image illusoire du héros que tout fils (ici Roy) cherche à imiter. Mais, dans le film, cette relation va encore plus loin. Oui, car le spectateur peut voir dans Clifford McBride plus qu’un simple héros. Les références à Dieu sont constantes. Il a un mission divine, il vit dans le ciel, à côté de Neptune. Il est omnipotent. Du haut de son vaisseau spatial, il capable de faire la pluie et le beau temps sur terre à coup d’orage et d’anti-matière comme Zeus avec ses éclairs. Il exerce une fascination sur ses congénères qui lui vouent un véritable culte. Il est Dieu le Père à la fois rassurant et inquiétant. Ce Dieu, qui pour Freud, est un fantasme. Fantasme de protection. Je cite : “Nous savons déjà que c’est l’effrayante impression de désarroi chez l’enfant qui a suscité le désir de protection [...] qu’a comblé le père, et que c’est [...] la persistance de ce désarroi tout au long de la vie qui a fait se raccrocher à l’existence d’un Père – mais désormais plus puissant”. Pour le dire autrement, les religions naissent parce que nous avons besoin d’être rassurés. Ce besoin a été rempli par notre père quand nous étions enfants. Et l’enfant que nous sommes en grandissant s’est inventé un nouveau père plus puissant et plus rassurant. Clifford dans le film, Dieu dans les religions. Pour Freud, il faut donc tuer symboliquement ce Dieu illusoire et le remplacer par un Dieu-logos, entendez le Dieu de la raison. Roy, dans le film, fait presque la même chose. Il va tuer symboliquement son père et le laissant se suicider. Et à partir de ce moment, Roy peut à nouveau pleurer, aimer et ressentir des émotions. Mais ensuite, après avoir coupé le cordon ombilical avec son père (symbolisé dans le film par une corde de rappel) Roy ne va pas se chercher un Dieu-logos. Roy renonce à toute forme de transcendance, il quitte le ciel et les étoiles, revient sur terre parce qu’il n’y a rien d’autre à chercher. Et décide d’aimer son prochain. Voici la dernière phrase du film : Je suis prêt. Calme. Je dors bien, pas de mauvais rêves. Et je vais vivre et aimer. On voit Roy alors tendre la main à des hommes. Que dire d’un point de vue chrétien ? Certains ont vu là une critique de la religion. D’autres au contraire un retour à un christianisme plus authentique : cherchez Jésus dans ses prochains et non dans les étoiles. Et de fait, on peut dire les deux. Ce qui est sûr par contre, c’est que l’image d’un Dieu faussement rassurant qu’il faudrait symboliquement tuer pour grandir n’est pas ce que Jésus nous a donné. Je cite Jésus en Matthieu 25, c’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. Et puis il s’en alla. Dieu le père est parti ! Alors oui, il reviendra pour juger, mais en attendant, la morale de cette parabole, c’est que nous devons prendre nos responsabilités et non pas nous planquer. Bien sûr, Dieu nous console à travers la prière et la providence. Mais c’est pour nous permettre de prendre des risques et de rester charitable même dans les persécutions. C’est tout sauf un désir infantile de protection. Nous continuons demain avec un nouveau thème toujours sur ce film. Rappelons que l’intégralité du topo est disponible sur le site de Rcf Nancy.

Le catholicisme dans Ad Astra Une des surprises du film Ad Astra vient de ses allusions au catholicisme, plus précisément, à ce qu’on appelle le culte de dulie. Nous reprenons notre topo. Attention spoiler ! Je parie que, si vous êtes catholique, vous n’avez jamais entendu parler du culte de dulie. Pourtant c’est quelque chose que vous pratiquez peut-être souvent. Le culte de dulie, par opposition au culte de latrie réservé à Dieu, c’est l’hommage qu’un croyant rend aux saints en les priant. Ce sont les dévotions : dévotion à la Vierge Marie, dévotion à saint Antoine de Padoue pour retrouver ce qui est égaré, dévotion à sainte Rita pour les causes perdues. Ni adoration, ni magie, ni idôlatrie, le culte de dulie est une prière d’intercession. Cela revient à demander aux saints entre guillemets à nous “pistonner” auprès de Dieu. Et le piston, on peut en penser ce qu’on en veut, mais cela marche ! Donc, les dévotions catholiques et le film Ad Astra. Je commence avec une phrase du colonel Stroud. Dans le film, ce colonel est une sorte de grand-père, un sorte de tuteur pour Roy McBride. Et il se présente en disant : “Je suis ton ange gardien”. La dévotion envers les anges gardiens est présente dans le film ! Cette dévotion trouve sa justification dans une parole de Jésus : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père. ». C’est pour cela que dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique, l’existence d’ange gardien est une vérité de foi. Mais ce n’est pas tout. Quand Roy McBride entre dans le vaisseau spatial qui doit l’emmener vers Mars, le chef de l’équipage commence le voyage par une prière à saint Christophe, le saint patron des voyageurs. O Saint Christophe, protège moi aujourd’hui dans tous mes voyages, etc. La dévotion envers saint Christophe, elle, vient d’une légende : un jour, après s’être converti au Christ, le géant Reprobus voit, près d’un ruisseau, un enfant. Il le prend dans ses bras pour lui faire traverser le ruisseau. C’était le Christ ! Cela vaut à Reprobus son surnom de Christophe, celui qui porte le Christ. Et, il y a encore une dernière allusion aux dévotions dans le film. Le capitaine ne va pas voir sa prière à saint Christophe exaucée et il va mourir au cours du voyage. Un membre de son équipage va alors lui fermer les yeux. Et il va le faire en récitant une prière que l’on récite traditionnellement lors de l’absoute. Une prière qui s’appelle “In paradisum deducant te Angeli”. Je vous récite le début : Que les Anges te conduisent au paradis, que les martyrs t'accueillent à ton arrivée, et t'introduisent dans la Jérusalem du ciel. C’est une très belle prière et cela fait plaisir de l’entendre dans le film. Cette tradition qui voit dans les anges des guides pour nos âmes dans l’au-delà vient de Jésus. Dans la parabole du pauvre Lazare, Jésus dit que, après sa mort, les anges emmenèrent son âme jusqu’au sein d’Abraham. Vous avez parlé des dévotions comme d’un piston. Mais, je ne comprends pas, car dans le film, ces pistons ne marchent pas… Mais peut-être en parlerez-vous dans la suite…

Un film qui donne des leçons

Nous avons parlé des dévotions catholiques présentes dans le film. Les anges gardiens, saint Christophe, les prières aux morts. Mais, force est de constater que, dans le film, ces prières sont vaines dans le film. Attention spoiler, nous reprenons notre topo sur Ad Astra. Oui, le colonel Stroud se présente comme un ange gardien, mais il se révèle incapable de protéger Roy en cas de danger. C’est Roy qui doit le protéger. Le capitaine de la navette récite une prière à saint Christophe avant de décoller. Mais, malgré les avertissements de Roy, il meurt dans une opération de sauvetage absurde. Sur un malentendu, c’est d’ailleurs tout l’équipage qui meurt, remplacé par Roy. Pour le dire méchamment, tous ceux qui ont une dévotion religieuse dans le film sont dépeints comme des boys scouts attardés, plein de bonne volonté, mais qui finissent par devenir des boulets que Roy traînent. A travers ces personnages, la religion apparaît comme une naïveté, touchante chez le Colonel Stroud, inefficace chez les membres de l’équipage, voire dangereuse chez le père de Roy. Et pourtant, le film est assez subtil ici. Car comment ne pas les aimer et ne pas leur trouver une poésie à ces boys scouts et à qu’ils incarnent ? Par sa sagesse, le colonel Stroud sensibilise Roy aux enjeux politiques et affectifs du voyage. L’équipage aime son métier, aime la beauté de l’espace et montre à Roy le chemin à suivre. Et son père, et bien, son père après tout, a aussi accompli de grandes prouesses. Inversement, Roy le héros, n’a rien du boy scout. Mais quelle charme aurait-il s’il n’y avait pas Brad Pitt ? Sa quête le mène aux confins de l’univers mais finit au ras des pâquerettes. Un brin sceptique et désabusé, Roy est finalement un homme dont le seul enjeu à 50 ans est de faire le deuil de son père, et qui donne au drame finalement bourgeois de son enfance la taille de l’univers. On l’aura compris, je suis sceptique sur les leçons de morale que ce film nous donne. Même si leur fraîcheur côtoie le ridicule, la caricature ou la folie, pour ma part je choisis le camp des boys scouts. Je pense à cette maxime de la Rochefoucauld : Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit. Ou bien saint Paul : « Si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage ». Et quitte à faire part de mon scepticisme, je ferai le même constat sur la manière dont ce film parle de l’exploration spatiale. Pourquoi explorer l’univers ? nous demande le film. Pour quitter la superficialité de la vie sur terre ? Mais quand Roy débarque sur la lune, la première chose qu’il voit est un centre commercial (je dois avouer d’ailleurs que c’est bien vu). Alors pourquoi partir ? Pour chercher des nouvelles ressources ? Mais cela ne fera qu’exporter la guerre et la convoitise, comme cette attaque de pirates sur la lune (là aussi, c’est une scène très réussie). Pour découvrir des nouveaux horizons ? Mais la seule chose que l’univers a à montrer ce sont des étendues sans vie. Pour vivre une aventure ? Mais ce n’est là que fuite de soi-même. Finalement, ce film daube sur l’exploration spatiale. Ce qui est curieux, car après tout, la beauté de ce film réside précisément dans la poésie de l’espace et de son exploration. Et bien, voilà qui paraît critique. Mais demain, je crois que vous nous parlerez de la résilience. Et pour le coup, je crois que le film vous a beaucoup plu.

La résilience

La résilience est un mot à la mode. Ce mot signifie la capacité à surmonter un traumatisme émotionnel. Par exemple, un enfant qui aurait été abandonné par son père. Alors père d’Hardemare : Ad astra est-il un film sur la résilience ? Oui, car Ad Astra raconte comment le héros, Roy a été abandonné par son père et finit par en guérir. Et le film choisit de décrire cette guérison, cette résilience, en utilisant le cadre narratif de l’exploration spatiale. Roy qui s’enfonce dans les profondeurs de l’espace, c’est Roy qui s’enfonce dans les profondeurs de ses traumatismes affectifs. Alors, à titre personnel, je pense que télescoper un drame familial dans les étoiles, c’est toujours un pari risqué, qui fonctionne à quitte ou double. Ou bien cela permet de donner à ce drame une portée épique et à l’univers une résonance morale. Et c’est le jackpot. Ou bien cela réduit les dimensions de l’univers à la taille d’un microcosme bourgeois, et vous avez tout gâché tout. Le spectateur décidera pour lui-même pour ce qui concerne Ad Astra. Ceci étant dit, je reconnais que la résilience de Roy est racontée de manière très construite. Le théologien que je suis ne commente pas, mais prend note des grandes étapes du processus de résilience que l’on retrouve dans le film. A son ouverture, le film nous montre Roy en chute libre, tant physiquement (il tombe d’une antenne géante) qu’affectivement (sa femme le quitte). C’est un homme seul, et dont sang froid à toute épreuve, sang froid qui a fait sa réputation professionnelle, dénote en réalité une froideur émotionnelle. Il y a quelque chose de désincarné chez cet homme. Une incapacité à s’identifier à sa propre histoire. Et alors on part dans les étoiles pour en guérir. Au cours de voyages spatiaux, la voix off de Roy commente sa propre vie et nous plonge dans une sorte de séance de psychanalyse, le tout sur fond étoilé. Cela commence avec le refus de faire de ses problèmes le centre de l’univers. Et Roy part sauver le monde plutôt que de se complaire dans l’échec de son mariage. Puis un accompagnement psychologique. Ici le colonel Stroud. Puis, on fait tomber les masques. Dans une laboratoire spatial abandonné, Roy est face à face avec un singe enragé, et prend conscience de la rage qui sommeille en lui. Puis, on continue avec la volonté de reprendre le contrôle de sa vie. Et Roy prend la place de l’équipage qui part vers Mars. Puis, au bout du voyage et étape cruciale de la réconciliation, accepter la vérité pour pardonner. Son père lui dit “Je ne t’ai jamais aimé”. Et Roy lui répond : “Je sais mais je t’aime quand même”. La réconciliation n’est pas totalement faite. Parfois elle n’est pas possible. En tout cas on peut tourner la page et guérir. Le père de Roy s’enfonce dans la profondeur de l’espace. Roy peut à nouveau éprouver des émotions, de la colère, de la tristesse et de l’amour. Tout ceci est bien vu. Peut-être un peu lourd au niveau du scénario, mais psychologiquement bien vu et admirablement bien joué par Brad Pitt. Et bien merci pour ce topo. Rappelons pour ceux qui le souhaiterez qu’il est disponible sur le site de Rcf-Nancy. La fois prochaine, nous parlerons non pas de cinéma, mais de théologie, pour varier les plaisirs.

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